Max Jacob & Jean Paulhan, 1918-1951
Max JacobJean PaulhanCorrespondance Jean Paulhan & Max Jacob, 1918-1951
C’est une volonté assez rare que celle exprimée par Max Jacob qui demanda à
son exécuteur testamentaire de détruire à sa mort non pas ses propres lettres, mais celles qu’il avait reçues de ses divers correspondants. Pouvait-il imaginer un seul instant que ses destinataires agissent de même, niant à ses missives la qualité d’œuvre ? Cela aurait été dommage, car Max Jacob est un grand épistolier et un remarquable témoin de son temps, que l’amateur d’histoire littéraire, mais aussi de style et de psychologie prend toujours grand plaisir à lire… Les correspondances de Max Jacob, qui ont jusqu’ici vu le jour grâce à ses respectueux correspondants, mais aussi grâce à la passion des spécialistes de son œuvre, jouent un rôle fondamental, que n’accomplissent pas les rééditions de ses textes : soustraire la personnalité littéraire de Max Jacob à une certaine image d’amabilité et de fantaisie qui agace et parfois lui nuit.
Que ce soit auprès de Jean Cocteau ou de Michel Leiris, la figure de magister de Max Jacob est indéniable – quoiqu’il s’en défende par des pirouettes –, mais c’est surtout son rôle de passeur, d’introducteur qui est véritablement à l’œuvre – et sa plastique intellectuelle, qui lui fait accueillir sous son aile peu conformiste pas uniquement les jeunes gens à la figure avenante, mais aussi les écrivains qui se cherchent, même provisoirement, à travers lui. Et l’on constate qu’en permettant à un jeune littérateur de définir son art poétique il affine le sien et, ainsi immergé dans la littérature en train de se faire, Max Jacob se fait sentinelle, modeste et malicieuse, de la modernité littéraire.
Sa correspondance avec Jean Paulhan n’appartient pas vraiment à ce registre, bien qu’elle commence sous ces mêmes auspices : c’est l’illustrateur Albert Uriet, le meilleur ami de Jean Paulhan, son double, son frère, rencontré au début de la Grande Guerre, qui s’enhardit, en septembre 1915, à écrire à Max Jacob, parce qu’il représente la littérature de demain, des lendemains de la guerre. D’emblée et pour toute la durée de leur relation, Max Jacob et Jean Paulhan sauront se lire mutuellement, se critiquer avec finesse et profondeur, prêter attention aux jugements de l’autre, converser ensemble… Malheureusement, on ne peut que deviner, d’après les réponses de Max Jacob, la pertinence des remarques de Jean Paulhan : sur 165 lettres, 156 sont en effet de Max Jacob, et 9 de Jean Paulhan.
En 1918, c’est Jean Paulhan qui donne dans La Vie un article sur cette « œuvre
d’art unique », Le Cornet à dés (1917) de Max Jacob ; en 1941, peu de temps
avant l’interruption brutale de cette correspondance et sans autre raison, semble-t-il, que les terribles aléas de la Seconde Guerre mondiale, c’est Max Jacob qui commente avec agilité sa lecture des Fleurs de Tarbes (1941) de Jean Paulhan : « Tu te fais une coquille ; tu y tournes ; tu y plonges. On espère que tu en sortiras quelque merveilleuse curiosité esthétique et l’on n’est pas déçu : c’est à la fois un brillant crustacé que tu rapportes et un comique très raffiné. La pure volupté de ce livre si nouveau (moi aussi je veux du nouveau !), si fécond est aussi la volupté du rire intérieur. Je le relirai cent fois ».
Entre ces deux dates, Max Jacob a aussi présenté de nouveaux esprits à celui
qui est devenu, après la mort de Jacques Rivière, le rédacteur en chef, puis le
directeur de la N.R.F. : par exemple, Charles-Albert Cingria en 1926, Jean Grenier en 1927, ou Edmond Jabès en 1937. Entre ces deux dates, Jean Paulhan a tout fait pour que Max Jacob tienne sa place, empreinte d’une influence originale, dans les sommaires de la N.R.F.
Un jour de septembre 1936, Max Jacob trouve le biais pour mettre un nom sur la véritable raison de leur étonnante et durable amitié, malgré quelques moments de tension vite pardonnés : « J’ai trouvé ici des caisses pleines de lettres (1920-1928), les tiennes d’aujourd’hui sont du ton fidèle de celles d’alors – Mais, là, combien de signatures alors si amicales sont devenues depuis celles d’incompréhensibles inimitiés (je ne nomme personne, comme dit M. le curé dans ses sermons). Si j’étais Sénèque je pourrais écrire un petit traité philosophique sur l’inconstance des choses humaines et le prix qu’on doit attacher à la vertu contraire. / Je me pique, tout comme toi-même, de cette vertu-là. » Éloge de la constance, ou de la fidélité, en amitié, vertu à laquelle l’un comme l’autre était très profondément attaché.
Claire Paulhan
Editeur : Paris Méditerranée