René Martin-Guelliot à Jean Paulhan, 1912, 7
Reims, vendredi
Mon cher ami,
Ma carte d'hier était partie quand votre lettre m'est revenue d'Hermonville. Je me hâte de vous dire que je comprends fort bien vos raisons, et pour ce mois-ci, et pour les suivants. Mais je pense qu'à défaut d'une collaboration effective de votre part, nous devrions songer aux moyens d'assurer au Sp[ectateur] pendant ce temps-là votre collaboration "d'esprit". La manière de prendre les choses que vous avez introduite est un élément que je tiendrais à ne pas voir complètement absent, même pendant une période relativement courte. Sans beaucoup y réfléchir je vois dès maintenant 2 de ces moyens, que nous préciserons. D'abord des lettres : vous m'écrirez certainement et dans ces lettres vous me parlerez de sujets possibles, d'observations recueillies, etc. comme vous l'avez fait encore dernièrement ; ce qu'il suffit donc de chercher c'est la façon de profiter de ces lettres dans les n°. Il est bien certain que, sans flatterie, je préfèrerais les insérer telles quelles à la place de nombre d'articles d'outsiders, bien [...] et finis. Mais d'autre part cela pourrait vous déplaire de publier des bribes sous votre nom. Il faudrait alors songer à la rubrique Correspondance, ou à F.C. ..., ou à autre chose. Vous n'auriez pas "la gloire", si gloire il y a, mais d'abord vous n'auriez pas de peine, puisque je suppose des lettres ordinaires écrites au courant de la plume, et le Sp[ectateur], lui, aurait le bénéfice de conserver dans son faisceau de directions la vôtre, ce que j'estime, encore une fois, beaucoup plus que l'envoi d'articles honorables d'auteurs comprenant tout juste votre point de vue.
Le 2nd moyen serait l'envoi par vous d'"articles signalés" ou de "documents", moins pour le remplissage matériel du n° que pour la même raison : pour que votre point de vue personnel soit représenté aussi de cette façon indirecte, mais certainement réelle.
Je crois que la grande tâche du Sp[ectateur], pour le moment, antécédente à toute extension, recherche de collaborations, etc. est de s'affirmer très nettement non pas par des manifestes, mais par ce qu'il fait, et cela avec un double objectif. 1° faire très nettement sentir les limites, à droite vers la philosophie, à gauche vers le fait-divers, la rêverie, la polémique et autres choses semblables 2° à l'intérieur de ces limites, donner par le spectacle même des diversités entre nous le sens d'une variété très large.
Je soumets tout cela à vos réflexions.
Bien à vous, R.M.G.
Si à Alger vous croyez qu'il peut vous être utile qu'on parle de vous dans certains milieux, ma femme l'écrira à l'une de ses meilleures amies, de situation actuellement assez modeste, mais ayant, croyons-nous, un assez grand nombre de relations.
Dernières nouvelles. Cette amie vient de quitter A. pour Bougie, mais cela n'empêche pas.