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couverture de la revue Le Spectateur, première année, n° 3, du 1er juin 1909

René Martin-Guelliot à Jean Paulhan, 1912, 6

Mon cher ami,

Puisque vous voici reçu — ce dont je vous félicite et vous demanderai de m'indiquer les conséquences — il vaudra mieux que nous éclaircissions ces questions oralement. J'irai vous attendre à l'Odéon un matin que vous me direz.
Nos objectifs sont tellement différents qu'il faut sans cesse une mise au point, ce qui allongerait indéfiniment les lettres. Je ne mets donc au point que 2 détails.
"Si j'ai senti être un instant interloqué, et si j'avais pu l'être définitivement, c'est que votre argument m'a semblé décisif". Or il ne l'était pas, ou ne l'était pas au degré où je le "sentais".
D'ailleurs j'abandonne provisoirement cette observation, j'accepte ce que vous dites : mais pas que je me représente l'esprit commun comme semblable au mien. Bien au contraire. S'il en était ainsi, les arguments ne m'effraieraient nullement. C'est précisément parce qu'ils ne sont pas objets d'analyse pour l'esprit commun que je leur adresse les reproches que vous dites, c'est précisément parce qu'ils sont un tout, à quoi il répond automatiquement. — Car, pour en revenir à la conversation sur le théâtre, si j'admets avec vous (sans peine) qu'un "homme d'esprit n'en eût pas été interloqué" c'est que, persuadé d'avoir raison, il aurait trouvé "automatiquement" un contre-argument (j'abonde dans votre sens), un tout-réplique, au même ton mental — Et, la question [...] étant [...], celui-ci [...] non pas nécessairement, mais dans bien des cas (c'est du moins mon expérience personnelle) été mauvais pour la contrebattre.
— En disant "mauvais", je ne fais pas de pétition de principe. Je veux simplement dire "énonçons quant aux termes une confusion qui n'est pas nettement perçue ou percevable comme telle à premier examen."
Entendons-nous encore sur ma méfiance des arguments. Méfiance tant qu'ils ne sont pas analysés, tant qu'on croit que dans un sou est un sou les deux mots sont identiques ; et le mot est la copule pure.
Nous avons un but opposé. C'est là la raison de ce fait paradoxal que vous avez cru m'attribuer seul l'effet des arguments sur l'esprit commun exactement le contraire de l'idée que j'ai. J'ai précisément l'idée que vous en avez, et c'est précisément cette idée qui me fait conclure à la méfiance.

A bientôt n'est-ce pas ?
R.M.G.