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couverture de la revue Le Spectateur, première année, n° 3, du 1er juin 1909

René Martin-Guelliot à Jean Paulhan, 1912, 1

5.12.12

Je reçois votre lettre concernant le n° bimensuel opposé au bimestriel.

J'admets ce que vous dites au sujet collaboration (plus facile en articles qu'en notes, etc.) : j'ai en partie répondu hier à cela.
Pour la lecture, il y a du vrai, certainement, dans ce que vous dites (dose constante accordée à un n°). D'un autre côté

  1. avec de nombreux articles, il y a plus de chances que chacun trouve quelque chose à son goût ; de plus
  2. avec un seul ou 2 articles l'idée fausse (interprétation [connue] d'un article de parti politique, etc.) a plus de chances de n'être pas combattu [sic].
  3. En fait, auprès des lecteurs, le n° 36 et les documents ont du succès : il y a des gens qui ne lisent que cela. Je conçois donc le n° bimestriel comme un n° 36 plus le [bon] article unique (argument des extrêmes) certaines notes du n° 36 étant remplacées par des rubriques un peu capables de susciter la curiosité.

Je crois d'ailleurs qu'en réalité il n'y aura pas grande différence dans l'effet produit ; car un point de vue extrêmement important est le point de vue de commodité pour moi. Vous sentez très bien qu'organisé comme l'est le Sp[ectateur] il est impossible de paraître tous les 15 jours sans augmenter mon travail et les frais (adresses écrites ou imprimées, hâte des imprimeurs, je ne peux pas non plus me priver de voyages, etc., raisons de santé : supposez que j'ai[sic] une grippe de 8 jours). En fait le n° mensuel est déjà au-dessus de mes forces depuis cette année où j'ai été pratiquement seul depuis 3 mois, à la seule exception de vous, et où je le serais sans cette exception maintenant. Je peux fournir, de moi ou des autres, un article tous les 2 mois ! C'est le maximum. Et maintenant, je demande de votre amitié le service contraire de celui que je demandais dans mon avant-dernière lettre ; celui d'attendre maintenant le nouveau régime pour m'en parler. Vos réflexions (à part des points de détail qu'après réflexion et consultation j'ai jugés inexacts) m'ont semblé justes, mais actuellement irréalisables. Entendez bien que si je vous demande cela, ce n'est d'ailleurs nullement rigoureux, je serai toujours content d'une objection de détail pouvant être utile et c'est encore bien moins que je vous en veux le moins du monde : il serait aussi absurde de votre part de le penser que de la mienne d'avoir ce sentiment.
C'est que je suis un peu pressé de travail pour le moment et que malgré moi je m'absorbe trop à ruminer vos réflexions : la chose serait toute différente si nous pouvions causer de vive voix. Notez que dans le fond, ou plutôt sur le fond, je suis absolument de votre avis (*). J'avais conçu le Sp[ectateur] bimensuel et je le conçois encore tel. Notez que si vous étiez à demeure à Paris et si Muselli était bon à quelque chose, en d'autres termes s'il y avait 3 "moi" ou 1 "moi" et 2 "vous", ce serait possible mais, croyez-moi, cela ne l'est pas et le mensuel ne l'est pratiquement plus étant donné mes habitudes (**), votre absence, les occupations de Pareau, Collet, la nullité de Muselli : hélas ! superiora inferioribus determinantur !

II

Le mode bimestriel sera au pire un essai d'un an ; la masse lisante est trop inconnue pour qu'on puisse assez raisonner sur elle pour prévoir que cette année, même considérée comme perdue, ce qui n'est pas prouvé, influera beaucoup sur le succès futur, si problématique.
Je vous parlais du point de vue de commodité, il y en a un autre celui d'intelligence, plus aisé à manier, (sinon plus important) que celui de succès ; je veux chercher à me faire comprendre de ceux qui, au moins, me lisent (c'est peut-être un cercle vicieux) : le n° double me sera un instrument plus commode à ce p[oin]t de vue. Vous me répondez : à condition qu'on le lise, et v[ou]s avez raison, mais ceux qui le lisent, même moins nombreux, j'ai confiance qu'ils me comprennent mieux.

Donc 2 choses à v[ou]s demander pour le moment.
1° Trève de 15 jours, comme à Tchataldja, pour me laisser faire mon n°. Et si vous avez déjà répondu à ma lettre d'hier, récrivez-moi un mot au reçu de celle-ci pour me dire que la chose est entendue.
2° Tâchez de m'envoyer pour le 14 les petits résumés ou plutôt indication de ce que v[ou]s avez surtout voulu mettre en évidence dans vos articles et principales notes.

Bien à vous, merci encore de ce que je sens d'intérêt très réel pour moi dans votre lettre, merci aussi des réflexions que vous me suggérez.

R.M.G


(*) J'ai les nerfs un peu fatigués : l'échéance bimensuelle serait insupportable.
(**) C'est précisément parce que je suis de votre avis que je vous demande de ne pas insister : cela me fait trop regretter de ne pouvoir réaliser la chose.