aller directement au contenu principal
portrait d'Antonin Artaud

Lettre d'Artaud à Paulhan publiée dans la Révolution Surréaliste

par Antonin Artaud

(Publié dans La Révolution Surréaliste n°11, 15 mars 1928)

Paris, 3, rue de Grenelle (VIe).

Jean Paulhan,

Après les explications auxquelles je me livrai en votre présence au sujet de cet obscène Claudel, en considération des services rendus et d’une amitié infiniment tiraillée et trouble, mais enfin parfois opérante, ramener mon réquisitoire à la simplicité des deux points dont témoigne votre lettre, est une canaillerie pure et simple mais qui ne vous défigure pas, au contraire.

Cette canaillerie m’éloigne de vous, et en plus elle vous juge et souligne votre facilité.

Car l’homme que j’ai vu rouler la tête sur sa poitrine dans l’incapacité absolue de répondre à une question précise, tel l’enfant qui se dérobe (alors Jean Paulhan, c’est vous l’enfant, si c’est vous l’enfant il faut le dire afin qu’on le sache), cet homme obligé de reprendre prise sans cesse sur son propre néant ne peut me reprocher aucune facilité, aucune absence d’âme.

Je n’ajouterai aucune injure à la qualification de votre attitude. Il en faut beaucoup plus, croyez-le bien, pour me faire douter de moi. Je sais où j’ai mal mais ce n’est pas à cette petite partie de mon esprit qu’un Jean Paulhan peut atteindre.

ANTONIN ARTAUD

P.-S. – En ce qui concerne la manifestation Jarry, c’est le principe même du théâtre que votre collaborateur met en cause dans le numéro de février de la N. R. F. Mais le théâtre Jarry n’a rien à faire avec le théâtre. Tout ceci, par conséquent, ne nous intéresse pas. Je ne répondrai donc pas à votre imbécile de collaborateur. Quant au sens et au principe d’une manifestation comme celle-là, voici ce que je consentirai à en dire :
Je fais d’un texte exactement ce qu’il me plaît. Mais un texte sur une scène est toujours une pauvre chose. Je l’agrémente donc de cris et de contorsions qui ont un sens naturellement, mais qui n’est pas pour les porcs. Je ne m’étonne donc pas que le nain qui signe ces critiques ait vu dans une représentation semblable une pièce de comédie moderne.

Une autre raison pour laquelle j’appréhende de vous confier ma réponse est que je devrais m’exposer à l’un de ces châtrages en long et en large de textes, semés de membres de phrases coupées et de mots réduits à l’expression d’un cheveu, auxquels vous nous avez habitués.