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Portrait de Roger Martin du Gard

Roger Martin du Gard

C'est un ami de la plus rare bonté que nous perdons. Je ne pense pas qu'il y ait la moindre imprudence à prédire à Roger Martin du Gard la survie glorieuse qu'il souhaitait. Si les critiques littéraires ne suffisent pas à lui assurer cette survie, les sociologues s'en chargeront bien, ou les moralistes, les historiens, les politiques pourquoi pas. Jamais romancier ne tenta plus soigneusement d'imposer à ses personnages leur contexte historique et social. Jamais non plus auteur ne réalisa mieux son dessein. C'est dans Jean Barois qu'on lira un jour l'affaire Dreyfus, dans Les Thibault la guerre de Quatorze, dans Le Colonel de Maumort la guerre de Quarante. Et peut-être le lecteur attentif se trouvera-t-il ainsi mieux préparé à se mêler aux événements à venir. (Roger Martin du Gard l'espérait du moins.)

Chacun de ses grands romans est donc le récit d'un apprentissage. Plutôt que de se poser des cas de conscience ou poursuivre quelque chimère métaphysique, il s'agit pour l'homme de répondre au plus tôt et du mieux possible, sans sortir de son naturel, aux questions que lui pose l'histoire — l'histoire qui se fait, l'histoire où il nous est donné d'intervenir et qu'il nous est sans doute donné de transformer. Au demeurant, ses personnages — ceux du moins auxquels il s'attache — s'analysent, se jugent, font effort pour se diriger. Que s'ils butent à un mystère, patience. Le mystère ne résistera pas à quelque nouvel épisode — à l'un de ces brefs coups de lumière que Roger Martin du Gard sait doser en parfait dramaturge, trop spontanément habile aux préparations, aux effets, aux coups de théâtre pour y voir coups de théâtre, effets ou préparations. Le roman ne s'achèvera pas qu'Antoine, Jacques, Jenny ou Jean ne soient connus à fond : épuisés.

Le propos de Martin du Gard suppose encore ceci : c'est que la vie, du point de vue littéraire, se suffit à elle-même ; c'est qu'elle offre à qui l'examine avec méthode et la met en fiches, sans se laisser rebuter par aucun de ses aspects, les débuts, les épisodes et la conclusion, bref les divers chapitres d'un roman, qu'il ne reste plus qu'à coucher sur le papier. Telle était déjà la doctrine de Duranty, tel le dessein des naturalistes. Roger Martin du Gard l'applique à fond, sans le moindre cynisme, mais avec une hardiesse qui nous est restée sensible — hardiesse patiente, plutôt que stylisée. Personne ne songerait à dire qu'il écrit mal, personne ne songe à dire qu'il écrit bien. Mais ses personnages nous sont autant d'êtres familiers.

Sans qu'il eût jamais passé pour un auteur difficile, la présence de Roger Martin du Gard dans les Lettres avait quelque chose de secret : hors des Académies, hors des modes, hors de la Politique il va de soi. Voici vingt ans qu'il était entré dans le même silence qui vint à Proust et à Valéry dès leur première œuvre. Ici l'on n'évite pas de se demander ce que furent, pour Roger Martin du Gard lui-même, les effets de l'apprentissage. Or les partis pris de départ sont simples et très communs : c'est que paix, justice, science, liberté, vérité vont de pair dans un monde sans Dieu et chaque jour s'imposeront mieux à l'homme au détriment de la foi, de la force aveugle, de l'injustice et, s'il le faut, de l'ordre établi. Quant à la conclusion, Martin du Gard dans ses entretiens, sinon dans ses écrits, n'en faisait pas mystère : c'était un désespoir sans recours, c'était un pessimisme absolu, tempérés par la bonté.

Jean Paulhan, 1958.


Ressources


Correspondance : Roger Martin du Gard & Jean Paulhan, 1925-1957


Voir aussi, de Jean Paulhan :


Bibliographie des textes parus dans la NRF

Les textes qui suivent, publiés dans La Nouvelle Revue Française, sont regroupés en quatre grands ensembles, les textes de Roger Martin du Gard, les notes et chroniques de l'auteur, les textes sur l'auteur et enfin, s'ils existent, les textes traduits par l'auteur.

Textes de Roger Martin du Gard

  1. Jean Barois (fragment), 1913-10-01
  2. La Gonfle, 1928-05-01
  3. La Gonfle (Fin), 1928-06-01
  4. Parmi les papiers posthumes de M. Thibault, 1928-11-01
  5. Confidence Africaine, 1931-02-01
  6. Le dernier acte, 1936-11-01
  7. Ma dette envers Copeau, 1955-10-01
  8. Lettres, 1967-12-01

Notes de Roger Martin du Gard

Ces textes de Roger Martin du Gard peuvent être des notes de lecture d'ouvrages, des notes d'humeur, des critiques de spectacles, des faits-divers, des textes inédits... Ils ont paru dans une "rubrique" de la NRf : Chronique des romans, L'air du mois, Le temps comme il passe , etc. ou dans un numéro d'hommage.

  1. Le Vieux-Colombier. Conférence de Jacques Copeau..., 1919-12-01, Notes
  2. Lettres à Pierre Margaritis (Une consultation littéraire), 1958-12-01, Textes inédits

Textes sur Roger Martin du Gard

Ces textes peuvent être des études thématiques sur l'auteur, des correspondances, des notes de lecture d'ouvrages de l'auteur ou sur l'auteur, des entretiens menés par lui, ou des ouvrages édités par lui.

  1. Les Thibault, IV, V, par Roger Martin du Gard (Éditions de la N. R. F.), par André Thérive, 1928-07-01, Notes : le roman
  2. La Mort du Père, par Roger Martin du Gard (N. R. F.), par Benjamin Crémieux, 1929-08-01, Notes : littérature générale
  3. Un taciturne, de Roger Martin du Gard (Comédie des Champs-Élysées), par Ramon Fernandez, 1931-12-01, Notes : le théâtre
  4. Roger Martin du Gard, par André Rousseaux, 1932-11-01, Revues et journaux
  5. Roger Martin du Gard : Été 1914, par Paul Nizan, 1937-01-01, Chroniques
  6. Roger Martin du Gard, par Louis Martin-chauffier, 1937-12-01, Les revues
  7. Épilogue, par Roger Martin du Gard (Éditions de la N. R. F.), par Jean Vaudal, 1940-06-01, Notes : le roman
  8. Roger Martin du Gard, par Albert Camus, 1955-10-01, articles
  9. Lettres à Roger Martin du Gard, par André Gide, 1957-01-01, Textes
  10. Roger Martin du Gard, par Jean Paulhan, 1958-10-01, articles
  11. Roger Martin du Gard, par Jacques de Lacretelle, 1958-12-01, L'homme, l'ami
  12. Devenir ou L'âme exquise de Roger Martin du Gard, par Jean Cocteau, 1958-12-01, Rencontres
  13. Roger Martin du Gard et Les Faux-Monnayeurs, par Jean Delay, 1967-12-01, articles

Répartition temporelle des textes parus dans la NRf (1908—1968)

On trouvera représenté ici la répartition des textes dans le temps, réunis dans les quatre catégories précédemment définies : Textes, Notes, Traductions, Textes sur la personne.