Pierre Drieu la Rochelle
Pierre Eugène Drieu la Rochelle, né le 3 janvier 1893 dans le 10e arrondissement de Paris et mort suicidé le 15 mars 1945 dans le 17e arrondissement de Paris, est un écrivain français.
Brève apologie pour Drieu
Je ne défends pas le suicide. C'est un criminel, s'il en est. C'est même le criminel d'un crime particulièrement grave, et vaste. Car l'assassin fait certes tort à sa victime, et le voleur à son volé. Mais c'est nous tous que le suicide offense. Il se retire de nous, il se supprime à nous. Il ne veut plus rien avoir de commun. A la mort du suicide, il me semble que tous ses amis (et ses étrangers et ses indifférents, et pourquoi pas les animaux et les fleurs) l'entourent et lui disent : “Alors, nous ne t'étions pas nécessaires ? Qu'est-ce que nous t'avons fait ?” Qu'avions-nous fait à Drieu ? Ou mieux, que lui avait fait la France ? Voilà des questions politiques, où je n'entends rien. Pourtant, sa mort les agite. Pourtant Drieu pensait que ce sont là des questions dont chacun de nous peut traiter directement, sans grand souci de méthode. Et moi, je ne tâche ici que de le suivre, et voir d'abord par ses yeux.
La maison des fous
La France de l'entre-guerres, quelle maison de fous ! Je ne sais plus qui parlait, en dix-neuf, du boulet de la victoire. (Appeler boulet la victoire, c'était déjà un peu fort de café.) En tout cas, le boulet n'a pas été lourd à traîner.
Cela, Drieu n'a guère arrêté de le sentir — de le crier — jusqu'à l'angoisse. Oui, les Français de vingt à quarante ont bien été tels qu'il les jugeait — tels qu'il lui arrivait de se juger lui-même : sans enfants, sans chefs, sans arbitres. Indéfiniment divisés, mais fiers de leurs divisions. Dédaigneux de leur armée, mais agressifs : offerts à tout envahisseur. Incapables de rien bâtir : laissant les misérables à leur misère, mais les exploiteurs à leurs exploits. Par-dessus tout, et jusque dans l'élite — et d'abord dans l'élite ! — privés de civisme. Qui donc se flattait de payer un peu plus d'impôts que son voisin ? Qui donc évitait de toucher la retraite qui lui était due ? (J'ai l'air de plaisanter, c'est le comble.) Qui rendait service à l'État ?
Et pourtant cette France (de qui Drieu parlait comme d'une déesse ; tout au moins, d'une femme qui l'eût tenu dans sa confidence), cette France était entourée d'ennemis — un ennemi, quelle invitation pressante à se serrer les coudes, à faire bloc... ! D'ennemis qui la surveillaient de près — ... à bien se tenir, à se montrer irréprochable. D'ennemis qui développaient chez eux, courage, abnégation, rigueur, toutes les vertus civiques — ... à être puissants et dévoués. D'ennemis si nombreux, si bien équipés, si riches d'industries qu'on pouvait se demander par avance si la résistance serait même possible.
Au fait, c'est peut-être pour ça.
Si la France l'avait fait exprès
Eh bien, j'imagine que les Français de l'entre-guerres se soient trouvés aussi courageux, patriotes, méthodiques, que Drieu les voit inertes et lâches. Qu'ils se soient donné des ministres intègres et des généraux intelligents. Qu'ils aient fermé bordels et bistrots. Qu'ils se soient fournis d'avions et de blindés dernier modèle. Qu'ils n'aient eu souci que de servir. Bien plus, d'appeler chaque Français à servir : de faire de nos ouvriers, non les plus déshérités, les plus honorés des ouvriers d'Europe ; et de chaque paysan, un propriétaire. Bref, de rendre honneur à l'homme. Que resterait-il aujourd'hui de la France ?
Je crois qu'il faut répondre : rien. Ou si peu que rien. Nous n'étions pas de force. Contre une Allemagne acharnée à sa revanche, forte en 40 de l'aide russe, nous étions à un contre dix, bons pour la saignée à blanc. Au mieux, les meilleurs des Français se seraient fait tuer, de 40 à 44, en attendant l'aide américaine, sur un front stabilisé.
Je ne dis que l'évidence, et qui crève les yeux. Cette évidence-là, est-ce trop m'avancer que de dire que les Français aussi ont pu s'en douter ; qu'ils ne sont après tout pas plus bêtes que d'autres — pas plus bêtes que moi ? Qu'ils ont plus ou moins clairement fait le nécessaire pour qu'une catastrophe inévitable se passât aux moindres frais. Qu'ils ont senti que notre salut pourrait être un jour dans la fuite des soldats, la résignation des généraux, l'inconscience des ministres. Bref, qu'ils ont joué les vices qu'ils n'avaient pas.
On voit bien qu'ils n'ont pas si mal réussi. Mais j'en tiens une autre preuve, que je dirai tout à l'heure.
L'homme trompé
Est-ce que je vais trop loin ? Est-ce que je prête aux Français plus de calculs et de ruse que n'en peut avoir un peuple ? Alors, c'est une erreur que je partage avec tous les historiens. Bien entendu, la France n'est pas plus une femme que l'Allemagne n'est un aigle ou l'Angleterre un lion. Pourtant, qui songe aux conditions de tout ordre qu'implique l'existence même d'une nation — les territoires réunis, les chefs librement reconnus, les étrangers refoulés, l'obéissance et l'abnégation — n'évite pas de prendre cette nation pour une personne. Mieux, la suit et la connaît d'autant plus fidèlement qu'il lui prête une volonté simple.
Drieu n'arrêtait guère de songer à la France. Il arrivait qu'il en fût gênant. “Il me parle comme si j'étais français”, disait un surréaliste. Dans ce temps-là, Drieu avait Aragon pour ami inséparable. Pourtant : “Il se défie de moi”, disait-il parfois. Et encore : “Ils me prennent pour un sergent de ville.”
Il était, je pense, très beau. La négligence même, qui pliait ce grand corps, semblait une forme de sa franchise.
C'est curieux qu'un homme si aimé, si recherché, eût pourtant l'impression qu'on l'aimait mal. “J'aurai vécu dans la terreur d'être trompé”, a-t-il écrit. Et de préciser : “... trompé, le jour où mon prestige cessait, où j'avais donné tout ce que je puis donner.”
De fait, il avait donné à sa nation beaucoup de soins, beaucoup d'amour. D'ailleurs, héros de 14...
Où j'en étais ? A ceci : ma dernière preuve, c'est que la France de l'Occupation a su retrouver, dans les maquis de la montagne et de la ville, sitôt qu'il l'a fallu, tant de vertus oubliées : le courage et le silence, la joie d'obéir, l'oubli de soi, le civisme. Mais Drieu ne s'en est pas aperçu.
Des raisons, que Drieu donne à son suicide — si direct, si pressant qu'en soit le récit — non, je ne suis pas dupe une seconde. Bien sûr, la mort l'a tenté plus d'une fois. (Comme nous tous.) Il s'est mis par avance au tombeau ; il s'est émerveillé du pouvoir, que porte chaque homme, de se supprimer. (Chaque homme, et l'humanité tout entière.) Il a confondu la vieillesse de l'âme et la vieillesse du corps. (Ici, la confusion est déjà si grossière que je me demande s'il ne triche pas. J'ai tort sûrement.) Mais je préfère ma raison : c'est qu'il a décidé de nous quitter, le jour où il a su que la France ne l'avait pas mis au courant — ne l'avait pas gardé dans sa confidence, l'avait très précisément trompé.
Jean Paulhan, 1945, in Œuvres Complètes, Tchou
Ressources
Pierre Drieu la Rochelle raconte son voyage à Weimar
Pierre Drieu la Rochelle : Auteur fascinant ou écrivain maudit ?
Les Intellectuels et la Collaboration - Apostrophes
Drieu ou le besoin d'admiration absolue - Le Figaro
Ressources Drieu la Rochelle — site Mélusine
Correspondance : Pierre Drieu la Rochelle & Jean Paulhan, 1925-1944
Bibliographie des textes parus dans la NRF
Les textes qui suivent, publiés dans La Nouvelle Revue Française, sont regroupés en quatre grands ensembles, les textes de Pierre Drieu la Rochelle, les notes et chroniques de l'auteur, les textes sur l'auteur et enfin, s'ils existent, les textes traduits par l'auteur.
Textes de Pierre Drieu la Rochelle
- Poèmes, 1919-07-01
- Le dernier Capitaliste, 1919-10-01
- Nouvelle Patrie, 1920-04-01
- Le retour du soldat, 1920-08-01
- La Valise vide, 1923-08-01
- Chronique des spectacles, 1923-11-01
- Chronique des spectacles, 1924-01-01
- Sacha Guitry, 1924-02-01
- Encore le cirque et le music-hall, 1924-03-01
- Le Pique-nique, 1924-10-01
- La véritable erreur des Surréalistes, 1925-08-01
- L'Aumône, 1925-11-01
- Lindbergh et ma vie, 1928-05-01
- À propos d'un roman anglais, 1930-11-01
- Malraux, l'homme nouveau, 1930-12-01
- Le Voyage des Dardanelles (I), 1933-09-01
- Le Voyage des Dardanelles (Fin), 1933-10-01
- Mesure de l'Allemagne, 1934-03-01
- L'homme mûr et le jeune homme, 1935-02-01
- L'agent double, 1935-07-01
- Rêveuse Bourgeoisie, 1936-12-01
- Rêveuse Bourgeoisie (II), 1937-01-01
- Rêveuse Bourgeoisie (Fin), 1937-02-01
- La Duchesse de Friedland, 1938-07-01
- Avant-propos, 1940-12-01
- Repères, 1941-01-01
- Esquisse, 1942-05-01
- Récit secret, 1953-09-01
- Mémoires de Dirk Raspe, 1966-01-01
- Mémoires de Dirk Raspe (II), 1966-02-01
- Mémoires de Dirk Raspe (Fin), 1966-03-01
Notes de Pierre Drieu la Rochelle
Ces textes de Pierre Drieu la Rochelle peuvent être des notes de lecture d'ouvrages, des notes d'humeur, des critiques de spectacles, des faits-divers, des textes inédits... Ils ont paru dans une "rubrique" de la NRf : Chronique des romans, L'air du mois, Le temps comme il passe , etc. ou dans un numéro d'hommage.
- Paul Adam, 1920-04-01, Notes
- Vauban, par Daniel Halévy (Cahiers Verts, Bernard Grasset), 1923-10-01, Notes : littérature générale
- Chronique des spectacles, 1923-12-01, Notes : littérature générale
- Nouvel Empire, par Fritz von Unruh (Simon Kra), 1925-11-01, Notes : letttres étrangères
- À propos d'À l'Ouest rien de nouveau, 1929-01-11, Correspondance
- Chacun pour soi, par Constance Colline (Plon), 1933-01-01, Notes : le roman
- Une semaine à Berlin, 1934-02-01, L'air du mois
- Air de février 34, 1934-03-01, L'air du mois
- Guerre et révolution, 1934-05-01, L'air du mois
- Essai sur la misère humaine, par Brice Parain (Grasset), 1934-06-01, Notes : les essais
- Anniversaire, 1935-02-01, L'air du mois
- Ce qui meurt en Espagne, 1936-11-01, L'air du mois
- Présentation de Swift, par A. M. Petitjean (N. R. F.), 1939-11-01, Notes : lettres étrangères
- Maurras ou Genève, 1940-02-01, Chroniques
- Ma vie sans moi, par Armand Robin (Éditions de la N. R. F.), 1940-12-01, Notes : poésie
- Le corps, 1941-02-01, Chroniques
- Un homme, une femme, 1941-05-01, Chroniques
- À certains, 1941-08-01, Chroniques
- Chardonne, 1941-12-01, Chroniques
- Entre l'hiver et le printemps, 1942-04-01, Chroniques
- Notes vraiment peu politiques, 1942-08-01, Chroniques
- Audiberti, 1942-09-01, Chroniques
- Pierre Emmanuel, 1942-10-01, Chroniques] La poésie en 1942 A. ROLLAND DE RENÉVILLE
Textes sur Pierre Drieu la Rochelle
Ces textes peuvent être des études thématiques sur l'auteur, des correspondances, des notes de lecture d'ouvrages de l'auteur ou sur l'auteur, des entretiens menés par lui, ou des ouvrages édités par lui.
- État-Civil, par Pierre Drieu la Rochelle (Éditions de la Nouvelle Revue Française), par Marcel Arland, 1922-04-01, Notes : le roman
- Mesure de la France, par Pierre Drieu la Rochelle (Les Cahiers verts), par Jean Schlumberger, 1923-02-01, Notes : littérature générale
- Une lettre à Pierre Drieu la Rochelle, par Louis Aragon, 1925-09-01, Correspondance
- La Suite dans les Idées, par Pierre Drieu la Rochelle (Au Sans Pareil), par Benjamin Crémieux, 1927-11-01, Notes : littérature générale
- Une femme à sa fenêtre, par Drieu la Rochelle (Éditions de la N. R. F.), par Ramon Fernandez, 1930-05-01, Notes : le roman
- Drôle de voyage, par Pierre Drieu la Rochelle, par Marcel Arland, 1933-06-01, Chronique des romans
- Le Chef, de Pierrre Drieu la Rochelle (Théâtre des Mathurins), par Denis Meriel, 1934-12-01, Notes : le théâtre
- Socialisme fasciste, par Pierre Drieu la Rochelle (Éditions de la N. R. F.), par Julien Benda, 1935-02-01, Notes : les essais
- À propos de Rêveuse Bourgeoisie, par Pierre Drieu la Rochelle, par Marcel Arland, 1937-04-01, Chronique des romans
- Gilles, par Pierre Drieu la Rochelle (Éditions de la N. R. F.), par Marcel Arland, 1940-03-01, Notes : le roman
- Une conversation avec Drieu la Rochelle, par Jean Grenier, 1953-09-01, articles
- Drieu la Rochelle, par Marcel Arland, 1953-12-02, Chroniques : la littérature
- Drieu la Rochelle (II), par Marcel Arland, 1954-01-01, Chroniques : la littérature
- Drieu la Rochelle (III), par Marcel Arland, 1954-02-01, Chroniques : la littérature
- Récit secret, par Pierre Drieu la Rochelle (Gallimard), par Michel Deguy, 1961-10-01, Notes : littérature et essais
- Histoires déplaisantes, par Pierre Drieu la Rochelle (Gallimard), par Willy de Spens, 1963-09-01, Notes : le roman
- Drieu la Rochelle écrit sa dernière œuvre, par Pierre Andreu, 1966-01-01, articles
Répartition temporelle des textes parus dans la NRf (1908—1968)
On trouvera représenté ici la répartition des textes dans le temps, réunis dans les quatre catégories précédemment définies : Textes, Notes, Traductions, Textes sur la personne.