Georges Lambrichs, passionné par l’écrit jamais encore vu
Georges Lambrichs Jean Paulhan
La Libre, Francis Matthys, 10 mars 2023
Dans l’univers de l’édition, il est des sourciers qui repèrent des manuscrits qu’ils contribueront à révéler contre vents et marées. Discret écrivain lui-même, Georges Lambrichs fut de ces têtes chercheuses. Due à Arnaud Villanova, une très documentée biographie lui est aujourd’hui consacrée.
Fou de littérature
Né le 5 juillet 1917 à Saint-Josse-ten-Noode, l'une des communes de Bruxelles, Georges Lambrichs se montre fou de littérature dès l'adolescence. Sans diplôme aucun, il publie des chroniques dans l'hebdomadaire bruxellois Le Rouge et le Noir. En 1937, il se rend à Paris pour montrer ses textes à Jean Paulhan qui dirigeait la mythique Nouvelle Revue Française ; pour Georges, J.P. sera "une sorte de modèle" et un ami à jamais. À quand Paulhan dans la Pléiade ?
Pendant la guerre, Lambrichs devint le correspondant bruxellois de la revue française clandestine Messages. Ce qui, plus tard, le mettra en relation avec Vercors dont Le Silence de la mer avait paru en 1942, clandestinement aussi, aux Éditions de Minuit fondées par Vercors (alias Jean Bruller) et Pierre de Lescure, soutenues par Paulhan et Paul Eluard.
Se fixant à Paris en 1945, Lambrichs entre en tant que lecteur chez Minuit où, l'année suivante, sortira son premier livre, L'Aventure inachevée. À partir de 1948, il y assurera la direction littéraire, tandis que le jeune Jérôme Lindon se chargeait de l'administration. C'est chez Minuit que Lambrichs éditera Molloy de Samuel Beckett (refusé par Camus chez Gallimard) et, du même futur Nobel 1969, Malone meurt que couronne en 1951 le prix des Critiques. De l'ingénieur agronome Alain Robbe-Grillet, alors inconnu, il publiera Les Gommes, prix Fénéon 1953 : c'est le début du Nouveau Roman, courant qu'ultérieurement Lambrichs jugera sévèrement.
"Le meilleur de son temps"
Ses rapports professionnels avec Lindon s'étant détériorés, Lambrichs (marié, père de deux filles) démissionne en 1954 et passe chez Grasset où il éditera en 1958 Le Repos du guerrier de Christiane Rochefort. Vu l'énorme succès de ce roman, Gaston Gallimard contacte Lambrichs afin qu'il travaille pour son illustre maison ; engagé en janvier 1959, il se voit invité, par contrat, à y consacrer "le meilleur de son temps". Cette même année, il se fait naturaliser français.
Dès 1959, Lambrichs crée la collection "Le Chemin" - qui existera jusqu'en 1987. Avec une totale liberté quant à ses choix, il éditera, sous ce label, des dizaines d'auteurs de langue française, de Pierre Bourgeade à Michel Foucault, de Georges Perros à Pierre Klossowski, d'André Pieyre de Mandiargues à Pierre Guyotat, de Christian Bobin à Michel Butor et autres Jean-Noël Schifano ou Jean-Loup Trassard. Deux d'entre eux obtiendront le prix Goncourt : Jacques Borel pour L'Adoration en 1965 et Pascal Lainé pour La Dentellière en 1974.
En octobre 1962, par la poste, Lambrichs reçoit une lettre puis le manuscrit d'un Niçois de 22 ans, Jean-Marie Gustave Le Clézio (Nobel 2008) ; sans hésitation, il édite ce premier roman, Le Procès-verbal, que récompensera le prix Renaudot en 1963.
Succédant à Jean Paulhan, puis à Marcel Arland, l'auteur de S'en prendre aux mots (1991) dirigera La Nouvelle Revue Française de 1976 à 1987 : son bâton de maréchal. Ce qui le passionne, avouait-il, "c'est l'écrit jamais vu, jamais lu, jamais encore imprimé." Georges Lambrichs est mort à Paris le 10 février 1992.
Le chemin continue. Biographie de Georges Lambrichs
Arnaud Villanova